Au-delà des biais : cassez les filtres, transformez vos conflits
Fille d'immigrant, gestionnaire dans des milieux masculins, personne avec un handicap invisible – fièrement « woke ». Cette identité multiple m'a appris une chose essentielle : les conflits, ce ne sont pas que des disputes, ce sont des histoires de filtres mentaux qui brouillent notre perception de la réalité.
Notre cerveau traite 11 millions d'informations par seconde. Pour survivre à ce déluge, il utilise des raccourcis – les biais cognitifs. Utiles pour naviguer dans la complexité, ils deviennent dangereux quand ils déforment nos relations, alimentent les malentendus et transforment des désaccords en guerres de tranchées.
Ces raccourcis mentaux qui sabotent nos relations
On parle souvent de biais « inconscients », mais c'est un piège. Ils sont cognitifs, et surtout, ils peuvent être repérés et questionnés. La vraie force, c'est de les rendre visibles pour reprendre le contrôle.
Dans un conflit, nos biais nous enferment dans notre version de la vérité, coupant court à l'écoute. La question à se poser : "Est-ce que je juge ou est-ce que je cherche à comprendre ?"
Le piège du biais de confirmation
Vous pensez qu'Antoine résiste toujours aux changements ? Votre cerveau va collecter toutes les preuves qui confirment cette conviction, en ignorant les fois où il a soutenu vos initiatives. Ce biais de confirmation nous fait voir ce qu'on veut voir, pas ce qui est.
L'erreur d'attribution qui tue le dialogue
Quand un·e collègue arrive en retard, on assume qu'iel manque de respect. Quand c'est nous, c'est à cause du trafic. Cette erreur fondamentale d'attribution – attribuer les comportements des autres à leur personnalité plutôt qu'aux circonstances – nourrit les conflits inutiles.
Ces intentions hostiles qu'on invente
Le commentaire critique en réunion ? On l'interprète comme une attaque personnelle. L'invitation au café oubliée ? Signe de rejet. Ce biais d'attribution hostile nous fait voir de la malveillance là où il n'y a que maladresse ou distraction.
Quand nos présupposés créent les conflits qu'on redoute
Le biais de projection nous fait croire que les autres pensent comme nous, partagent nos valeurs et nos besoins. Résultat : on attend des réactions qu'iels n'auront jamais, on prête des intentions qu'iels n'ont pas.
Et puis il y a ce biais de polarisation excessive qui nous fait voir le conflit comme plus grave qu'il ne l'est. Une divergence d'opinion devient une opposition irréductible. Un malentendu se transforme en crise majeure.
« Elle est toujours en retard, ELLE. » Et si nos conflits n'étaient pas que personnels… mais culturels ?
Au-delà des biais individuels, nos conflits s'enracinent souvent dans nos différences culturelles profondes. Les dimensions culturelles de Hofstede offrent un cadre conceptuel précieux pour analyser et comparer les cultures nationales. Nous sommes tou·te·s issu·e·s de la diversité, peu importe notre schéma, et nos perceptions du monde varient selon six dimensions principales :
1. Distance hiérarchique
Cette dimension mesure le degré d'acceptation de l'inégalité de pouvoir au sein d'une société. Comment percevons-nous l'autorité ? Faut-il questionner ouvertement son·sa supérieur·e ou attendre qu'iel nous donne la parole ? Un·e employé·e issu·e d'une culture à forte distance hiérarchique pourrait être perçu·e comme passif·ve, alors qu'iel respecte simplement les codes de son environnement culturel.
2. Individualisme
Cette dimension évalue dans quelle mesure les individus se perçoivent comme autonomes ou faisant partie d'un groupe. Certain·e·s prennent des décisions rapidement de façon autonome, d'autres privilégient le consensus et la consultation. Les cultures individualistes mettent l'accent sur l'autonomie, tandis que les cultures collectivistes valorisent l'appartenance au groupe et la loyauté.
3. Motivation vers la réussite et le succès
Cette dimension indique ce qui motive les personnes dans une société. Un score élevé signifie que la société sera guidée par la compétition, la réussite et le succès, le succès étant défini par le fait d'être le·la gagnant·e ou le·la meilleur·e dans son domaine - un système de valeurs qui commence à l'école et se poursuit tout au long de la vie organisationnelle. Un score faible signifie que les valeurs dominantes sont la bienveillance envers les autres et la qualité de vie. Dans une société orientée consensus, la qualité de vie est le signe du succès et se démarquer de la foule n'est pas admirable. La question fondamentale est : qu'est-ce qui motive les gens - vouloir être le·la meilleur·e ou aimer ce qu'on fait ?
4. Évitement de l'incertitude
Cette dimension mesure la tolérance d'une société à l'égard de l'incertitude et de l'ambiguïté. Certain·e·s collègues ont besoin de règles et de procédures claires pour se sentir à l'aise, tandis que d'autres naviguent naturellement dans l'ambiguïté. Ce qui peut sembler être de la rigidité cache parfois un besoin culturel de structure.
5. Orientation à long terme
Et voici ce qui touche au fameux « Elle est toujours en retard, ELLE » : cette dimension décrit comment chaque société maintient des liens avec son passé tout en gérant les défis du présent et du futur. Les sociétés normatives, qui obtiennent un score faible, préfèrent maintenir les traditions et normes établies, y compris une conception stricte du temps et de la ponctualité. Celles avec un score élevé adoptent une approche plus pragmatique et flexible. Ce qui semble être un manque de respect cache parfois des conceptions culturelles différentes du temps, de la planification et des priorités relationnelles.
6. Indulgence
Cette dimension concerne la mesure dans laquelle les personnes tentent de contrôler leurs désirs et impulsions, basée sur leur socialisation. Un contrôle relativement faible est appelé "Indulgence" et un contrôle relativement fort "Retenue". Les cultures indulgentes permettent une gratification plus libre des besoins humains naturels, tandis que les cultures restrictives régulent cette gratification par des normes sociales strictes.
Ces dimensions façonnent nos interactions quotidiennes et peuvent créer des tensions avant même qu'on ne se parle. Elles influencent qui on écoute, qui on interrompt, qui on prend au sérieux. Comprendre ces différences nous permet de passer du jugement à la curiosité culturelle.
L'antidote ? L'introspection préparatoire
On ne peut pas déjouer ses biais en pleine dispute. La clé, c'est la préparation. Voici comment faire :
Écrivez vos ressentis avant d'agir. Qu'est-ce qui vous dérange vraiment ? Qu'est-ce qui relève des faits, qu'est-ce qui relève de vos interprétations ?
Interrogez-vous sur vos jugements. "Qu'est-ce qui me fait penser qu'iel a fait ça exprès ?" "Quelles preuves ai-je vraiment ?"
Cherchez activement les informations contradictoires. Demandez-vous : "Dans quels contextes cette personne a-t-elle agi différemment ?"
Un exemple concret : cette campagne publicitaire qui a dégénéré à cause de biais d'âgisme et de préjugés sur la créativité. L'équipe marketing jeune pensait que l'expérience ralentissait l'innovation. L'équipe senior sentait qu'on dévaluait son expertise. En réalité ? Les deux groupes voulaient la même chose : créer quelque chose d'exceptionnel. Reconnaître ces biais a permis de dénouer le conflit et de créer une collaboration fructueuse.
La responsabilité partagée : sortir du jeu de blâme
Le biais de l'externalité nous pousse à rejeter la faute sur l'autre. "C'est de sa faute, moi je n'ai rien fait." Stop. Dans toute relation, nous sommes responsables à 50%.
Cette responsabilité partagée ne signifie pas que tout le monde a tort ou raison à égalité. Elle signifie que chacun·e a le pouvoir d'agir pour améliorer la situation. C'est en assumant notre part qu'on peut faire bouger les choses.
Des biais personnels aux obstacles systémiques
Mais attention : tous les conflits ne se résument pas à des biais individuels. Certains s'enracinent dans des systèmes plus larges – racisme, sexisme, âgisme, grossophobie, stéréotypes culturels.
Il faut passer du "culture fit" au "culture add" pour accueillir la diversité comme une force. Quand on pense qu'une personne "ne rentre pas dans le moule", on devrait se demander : "Est-ce que notre moule est trop étroit ?"
Ces biais systémiques créent des conflits avant même qu'on se parle. Ils influencent qui on écoute, qui on interrompt, qui on prend au sérieux. Ils déterminent qui obtient le bénéfice du doute et qui doit faire ses preuves.
Le télétravail : révélateur de nouveaux biais
Le télétravail a révélé de nouveaux biais. Le biais de présence fait croire que l'engagement se mesure à la visibilité physique. Résultat : les travailleur·euse·s à distance sont souvent mal jugé·e·s, considéré·e·s comme moins investi·e·s.
Et que dire de cette caméra obligatoire qui devient un vrai défi pour ceux et celles qui vivent avec un handicap invisible, une neurodiversité, ou simplement des conditions de vie complexes ? Le rôle de la·du gestionnaire inclusif·ve ? Créer un espace où chacun·e peut exprimer ses besoins sans jugement.
Un parcours d'apprentissage continu
L'EDI n'est pas une destination, c'est un parcours d'apprentissage continu. Ça demande du temps, de la patience, de la conscience de soi. Mais c'est le seul chemin vers des conflits plus intelligents, plus humains.
Transformer sa façon de gérer les conflits, c'est transformer sa façon d'être en relation. C'est accepter que notre perception n'est pas la réalité, que nos certitudes méritent d'être questionnées.
Alors, prêt·e à casser vos filtres et aller... loin devant ?
🎧 Pour aller plus loin
Pour en découvrir encore plus sur mon échange avec les animatrices Julie Duhamel et Tania Boucher, écoutez l'épisode complet Au-delà du conflit – Les biais dans les conflits du podcast disponible sur Spotify et YouTube.
Des conversations franches, des exemples concrets, des pistes pour transformer vos conflits en opportunités de croissance.
Parce que derrière chaque conflit se cache une occasion de mieux se comprendre et de créer des relations plus authentiques.