Pratiques RH inclusives : un marathon vers la justice sociale
Par Élisabeth Petit, EMBA, CRHA , présidente de Loin Devant Ressources Humaines inc.
Fille d'immigrant·e, gestionnaire dans des milieux masculins, personne vivant avec un handicap invisible – et fièrement "woke". Voilà qui je suis. Et c'est exactement cette expérience qui m'a menée à comprendre que l'EDI n'est pas une mode, mais un impératif de justice sociale.
Dans un monde où certains brandissent le mot "woke" comme une insulte, où les programmes de diversité sont attaqués aux États-Unis[¹], je choisis de prendre la parole. Car derrière chaque débat sur les quotas, chaque résistance aux programmes d'équité, il y a des vies humaines, des talents gaspillés, des potentiels bridés.
La vérité que personne n'ose dire sur la méritocratie
"Vous avez eu ce poste parce que vous êtes une femme." Combien de personnes issues de la diversité ont entendu cette phrase assassine?
Laissez-moi vous dire quelque chose : la méritocratie pure n'existe pas. Elle ignore superbement que nous ne partons pas tous·tes du même point de départ. Que certain·es doivent gravir une montagne quand d'autres empruntent l'ascenseur. Les études le prouvent : les organisations qui se disent "purement méritocratiques" affichent paradoxalement... plus d'écarts salariaux[⁴].
L'EDI ne baisse pas la barre de la compétence. Elle lève les obstacles systémiques qui empêchent les personnes talentueuses de montrer ce qu'elles valent.
Oui, je suis "woke" – et alors?
Être "woke", c'est être éveillé·e à l'injustice[⁶]. C'est refuser que le hasard de la naissance détermine les chances de réussite. Si croire en l'égalité, respecter les premiers peuples et dénoncer les discriminations fait de moi une "woke", alors j'assume cette étiquette avec fierté.
Mais attention : être engagé·e ne signifie pas fermer ses oreilles. Dans ma pratique, j'ai appris que bâtir des ponts vaut mieux que creuser des fossés. Comprendre pourquoi certains jeunes hommes se tournent vers des mouvements masculinistes, écouter leurs besoins non comblés – voilà aussi notre travail[¹³].
Le jour où j'ai compris que le problème, ce n'était pas moi
Pendant des années, j'ai cru que c'était normal de devoir prouver ma maîtrise des finances plus que mes collègues masculins. Que c'était logique qu'on présume de mes "vraies" intentions de carrière face à une éventuelle maternité.
Il m'a fallu du temps pour réaliser que le problème n'était pas moi, mais la culture organisationnelle.
Cette révélation change tout. Car si le problème est culturel, alors il peut être résolu. Et c'est là qu'interviennent les pratiques RH inclusives.
La culture inclusive : plus qu'une stratégie, une révolution quotidienne
Le courage de se regarder dans le miroir
La première étape? La conscience de soi. Se demander : "Qu'est-ce qui m'échappe? Quels sont mes angles morts?" Cette introspection demande de l'humilité, mais elle est le socle de tout changement authentique[⁸].
La règle du "pire comportement toléré"
Voici une vérité qui dérange : votre culture organisationnelle, c'est le pire comportement que vous tolérez. Accepter une blague sexiste "pas si grave", fermer les yeux sur une interruption constante des femmes en réunion... chaque silence complice abaisse la barre.
Le leadership inclusif : investissement ou perte de temps?
"Je n'ai pas le temps de demander si quelqu'un a quelque chose à ajouter." Combien de gestionnaires pensent cela? Pourtant, cette minute d'écoute supplémentaire peut débloquer l'innovation que vous cherchez depuis des mois. Les équipes inclusives sont 8 fois plus susceptibles d'atteindre de meilleurs résultats[¹⁰].
L'argument économique qui fait taire les sceptiques
On me demande souvent : "Mais ça coûte quoi, tout ça?"
Mauvaise question. La vraie question est : combien vous coûte le fait de passer à côté des meilleures idées parce qu'elles viennent de personnes que vous n'écoutez pas?
Le sentiment d'appartenance et la collaboration ne sont pas des "nice to have". Ils sont les moteurs de la créativité, de l'innovation et de la performance[¹¹]. Le retour sur investissement est réel – même s'il demande de la patience.
Un marathon, pas un sprint (et c'est tant mieux)
L'EDI n'est pas une pilule magique. Vous ne transformerez pas votre culture du jour au lendemain en embauchant trois personnes issues de la diversité.
Cela prend du temps – parfois des années – pour créer un véritable sentiment d'appartenance, pour que chacun·e se sente légitime à donner le meilleur de soi[¹²]. Et c'est parfait ainsi. Les transformations durables ne se font jamais dans la précipitation.
Le monde a besoin de plus de ponts
Nous vivons une époque de polarisation extrême. Certain·es campent sur leurs positions, d'autres brandissent des étiquettes comme des armes.
Moi, je choisis de tendre la main. De comprendre plutôt que de condamner. De construire plutôt que de détruire.
Votre organisation peut-elle se permettre de rester immobile?
Chaque jour qui passe sans action inclusive est un jour où votre organisation laisse filer des talents, des innovations, des opportunités de croissance.
L'inclusion n'est plus un luxe – c'est une nécessité stratégique.
Êtes-vous prêt·e à franchir le pas? À sortir de votre zone de confort pour aller... loin devant?
🎧 Envie d'aller plus loin?
J'ai dit marathon, mais j'aurais dû dire ULTRA TRAIL
Parce que l'EDI, c'est bien plus qu'une course sur route bien balisée. C'est du terrain accidenté, des dénivelés imprévisibles, des conditions météo changeantes.
J'approfondis cette réflexion sur une transformation qui demande endurance, conscience de soi et leadership inclusif au quotidien, dans le podcast Inclusion Inc de Canal M avec Chantal Dauray. J'explique pourquoi je suis fièrement "woke", comment la méritocratie pure est un mythe,et pourquoi bâtir des ponts vaut mieux que creuser des fossés.
Écoutez notre conversation complète dans le balado Inclusion Inc sur Canal M : Chantal Dauray et moi explorons ces enjeux sans filtre, avec des exemples concrets et des stratégies pratiques. ➡️ Écouter maintenant, https://canalm.vuesetvoix.com/elisabeth-petit-loin-devant-rh-ledi-socle-de-la-justice-sociale/
Références
Castilla, E.J., & Benard, S. (2010). The Paradox of Meritocracy in Organizations. Administrative Science Quarterly, 55(4), 543-676.
Harvard Business Review – Why “Meritocracy” Is a Dangerous Myth
Center for Creative Leadership – The Importance of Self-Awareness in Leadership
Deloitte – The diversity and inclusion revolution: Eight powerful truths
Stanford Social Innovation Review – Dialogue Across Difference
https://loindevantrh.com/blogueloindevantrh/leadership-inclusif-9-competences
https://loindevantrh.com/blogueloindevantrh/meritocratieingalites